Rapport parlementaire sur la ouate de cellulose
L'affaire des sels de bore dans la ouate de cellulose
Dans le Rapport de l'Office Parlementaire d'Evaluation des Choix Scientifiques et Technologiques (OPECST) sur Les Freins réglementaires à l'innovation en matière d'économies d'énergie dans le bâtiment, il est largement question de la ouate de cellulose. Cet office constitué de 21 député-es et 21 sénateurs-trices a été saisi par le Bureau de l'Assemblée Nationale suite aux protestations d’industriels qui se plaignaient notamment de l’impact des fluctuations de la réglementation sur les substances ignifugeantes autorisées dans les produits biosourcés.
Il faut dire qu'en quelques mois, la réglementation sur l'usage du sel de bore dans la ouate de cellulose a connu de nombreux allers-retours : autorisé, interdit, à nouveau autorisé. A l'origine de cette valse, le CSTB Comité Scientifique et Technique du Bâtiment, qui déllivre les indispensables Avis techniques. Petit problème : le comité qui délivre ce sésame est composé d'industriels qui fabriquent... de la laine de verre, et qui voient donc d'un très mauvais oeil que la ouate de cellulose et autres produits bio-sourcés d'origine végétale lui prennent des parts de marché ! Ce que disaient les fabricants de ouate de cellulose depuis toujours vient d'être écrit et confirmé par ce rapport parlementaire.
Le rapport provisoire de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques
Le sommaire de ce rapport fait deux pages, mais nous ne parlerons ici que du début, où il est question de ouate de cellulose.
L’AFFAIRE DE LA OUATE DE CELLULOSE
... voilà un sommaire qui ressemble aux chapitres d'un roman policier ! Et pourtant, rappelons qu'il s'agit de la table des matières... d'un rapport parlementaire tout ce qu'il y a de plus sérieux :
RAPPORT PROVISOIRE
au nom de
L’OFFICE PARLEMENTAIRE D’ÉVALUATION DES CHOIX SCIENTIFIQUES ET TECHNOLOGIQUES
sur
LES FREINS RÉGLEMENTAIRES À L’INNOVATION EN MATIÈRE D’ÉCONOMIES D’ÉNERGIE DANS LE BÂTIMENT
PAR
M. Jean-Yves LE DÉAUT, député, et M. Marcel DENEUX, sénateur
L’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques compte pas moins de 21 sénateurs-trices et 21 député-es.
Pourquoi ce rapport ?
La saisine qui a motivé ce rapport a un certain poids puisqu’elle émane du bureau de l’Assemblée nationale (...). Elle a été déclenchée par des protestations d’industriels (qui) se plaignaient notamment de l’impact des fluctuations de la réglementation sur les substances ignifugeantes autorisées dans les produits biosourcés.
Ce rapport se penche donc très sérieusement sur les propriétés de la ouate de cellulose... mais aussi sur les entraves qui ont été mises en place selon toute vraisemblance par les fabricants de produits traditionnels concurrents pour contrer son développement en France. En voici quelques extraits particulièrement instructifs, que nous avons résumés pour vous en faciliter la lecture :
L'affaire de la ouate de cellulose
La ouate de cellulose est un produit isolant fabriqué à partir de vieux papiers journaux. C’est un produit doublement écologique dans la mesure où, d’une part, il repose sur du recyclage, et d’autre part, il mobilise des ressources en bois, donc permet de stocker durablement du carbone. Il est utilisé depuis 70 ans aux États-Unis, depuis 40 ans en Allemagne, et c’est en profitant de cette expérience que le marché français a pu se développer rapidement. Jusqu’en 2008, ce produit était totalement importé. Face à une demande croissante sur le marché français, des usines se sont installées, (...).
La ouate de cellulose a subi deux chocs normatifs en quelques mois, qui ont ballotté les petites entreprises concernées : le premier choc a concerné les intrants utilisés comme fongicides ; le second choc portait sur les risques d’incendie du fait des spots lumineux.
1. L’aller-retour sur les sels de bore
Les produits d’isolation d’origine végétale doivent se protéger des champignons pour assurer leur pérennité. La plupart des industriels produisant des isolants à base de ouate de cellulose se sont tournés vers les sels de bore pour remplir cette fonction fongicide.
Jusqu’en 2010, des avis techniques ont été délivrés par la Commission chargée de formuler les avis techniques (CCFAT) (...) faisant mention, sans y associer aucune difficulté, de l’intégration d’acide borique comme adjuvant au produit (...).
Mais voici qu’en novembre 2011, cette situation change. Les avis techniques concernés sont modifiés a posteriori (...) : la Commission Chargée de Formuler les Avis Techniques (CCFAT) (...) décide en outre l’interruption et l’interdiction d’engagement de toute procédure d’instruction de procédés exploitant des produits à base de bore. »
(...) la plupart des producteurs de ouate de cellulose (présentent) de nouvelles formulations avec sels d’ammonium qui obtiennent des avis techniques favorables délivrés par la CCFAT. De fait, ils se sont tournés vers ces nouvelles formulations sans avoir véritablement le temps de les tester.
En octobre 2012, le syndicat ECIMA (European Cellulose Insulation Manufacturers Association) regroupant plusieurs fabricants de ouates de cellulose alerte (...) sur le fait qu’une centaine d’utilisateurs a constaté qu’en temps de pluie, une odeur d’ammoniac, forte et désagréable, envahit des habitations qui avaient été isolées avec de la ouate de cellulose traitée aux sels d’ammonium.
(...) En conséquence, l’arrêté du 21 juin 2013 a interdit la mise sur le marché des ouates de cellulose avec sel d’ammonium et a demandé, à la charge des fabricants, le rappel et le retrait des produits non encore mis en oeuvre.
Parallèlement une modification, le 9 février 2012, du règlement relatif à l’enregistrement, l’évaluation et l’autorisation des substances chimiques (REACH) avait autorisé la présence de sels de bore dans des produits destinés au grand public jusqu’à une concentration de 5,5 %, supérieure à ce qui était pratiqué par les fabricants pour assurer l’ignifugation des ouates de cellulose.
La CCFAT a donc décidé, pour une période transitoire s’achevant au 30 juin 2013, la délivrance d’avis techniques pour des isolants à base de ouate de cellulose incorporant des sels de bore à titre d’ignifugeant (et non plus à titre de fongicide) jusqu’à une concentration de 5,5 %, conformément au cadre réglementaire nouvellement établi par REACH. Elle (...) a accordé un nouveau report jusqu’au 30 juin 2015.
(...)
Voilà qui aurait pu avoir raison du jeune secteur industriel de fabrication de ouate de cellulose en France ! Certains petits industriels ne s'en sont d'ailleurs pas relevés... et des gens ont perdu leur emploi.
La France est bien le seul pays à avoir montré une telle méfiance. Il faut dire que chez nous, la laine de verre domine largement le marché, dans un pays où les industriels de cette solution (largement désignée à l'étranger pour risques cancérogènes) ont un poids considérable dans l'économie ...et dans les instances du CSTB où ils sont représentés :
La ouate de cellulose est très utilisée en Europe en général (200.000 bâtiments), et en Allemagne en particulier. Lors de notre visite à Berlin, nous avons demandé aux responsables du DIBt (Deutsches Institut für Bautechnik, l’équivalent du CSTB) s’ils avaient subi de la même façon que la France les contrecoups des variations du droit européen sur l’incorporation des sels de bore. Leur réponse évasive et presque amusée a montré une grande sérénité face à ces impulsions contradictoires. Comme l’a indiqué M. Olivier Legrand lors de notre audition du 4 avril 2013 : « Cette position spécifique française [l’interdiction initiale des sels de bore] n’a pas été du tout suivie au niveau européen. »
2. Le risque lié aux « spots » lumineux encastrés
L’Agence Qualité Construction (AQC) (...) gère un dispositif d’alerte lui permettant d’identifier des désordres sériels à partir des remontées d’information sur les sinistres gérés par les assurances. Ce dispositif a identifié, à partir de 2009, plusieurs départs de feu causés par une mise en contact direct d’un isolant à base d’ouate de cellulose avec des éclairages encastrés ou des conduits de gaz de combustion.
Sans remettre en cause la qualité du produit d’isolation lui-même, les rapports d’expertise incriminaient un déclenchement du feu par échauffement de celui-ci, faute de l’installation d’une protection.
Il est évident qu'un professionnel sérieux qui respecte les préconisations du fabricant de ouate de cellulose met en oeuvre des distances de sécurité entre les points chauds et l'isolant d'origine végétal ! Cependant une mise en observation a été ordonnée, jetant le discrédit sur un produit isolant quand il aurait fallu s'inquiéter sur le professionnalisme des applicateurs...
Un communiqué de juin 2013 a confirmé que le respect de ces conditions (...) permettait de lever la mise en observation annoncée en janvier.
Ce communiqué a mis fin au second épisode difficile pour la filière de la ouate de cellulose. Mais lors de notre audition publique du 4 avril 2013, M. Olivier Legrand, PDG de NrGaïa et président de l’ECIMA, avait expliqué que l’affaire ne serait pas sans lendemain :
« La ouate de cellulose a été mise en observation dans les conditions évoquées (...). Mais ce qui m’a le plus surpris est d’avoir été mis devant le fait accompli du communiqué de presse sans possibilité d’échanger avant cette soudaine déclaration officielle. Bien que la couverture d’assurance n’ait pas été remise en cause, en termes de communication, c’est un peu comme si une agence de notation avait lancé une information sur le marché. Cela a impacté directement le secteur, qui est mono-produit. Nous l’avons vu immédiatement dans les ventes, et les conséquences ont été dramatiques. Cela aurait pu être évité, encore une fois, par une discussion préalable, pour faire ce que nous sommes en train de faire : remettre les choses dans le bon sens. »
C’est cette brusquerie et l’absence de données vérifiables à l’appui du communiqué de l’AQC qu’a d’emblée dénoncées Jean-Yves Le Déaut, lors d’une conférence de presse tenue par plusieurs députés et élus régionaux le 27 février 2013 à l’Assemblée nationale. Il a constaté une opacité renforcée par l’anonymat des membres de la C2P.
3. Le soupçon de préméditation
Il reste que cet enchaînement impitoyable de circonstances malheureuses laisse une impression désagréable, donnant prise au soupçon de préméditation. (...) Jean-Yves Le Déaut n’a jamais caché sa vigilance, qu’il a exprimée à plusieurs reprises dans ses échanges avec les Autorités de l’État. Ainsi dans une lettre du 2 mai 2012 à Eric Besson et Benoist Apparu, il écrivait :
« (…) Dans ce dossier, je tiens par ailleurs à souligner des coïncidences pour le moins troublantes et qui laissent planer les plus grands soupçons sur les conflits d’intérêts apportés par la présence d’industriels puissants dans les commissions du CSTB. (…) Je considère donc que cette situation est particulièrement malsaine. Le conflit d’intérêts évident entre les experts membres des commissions du CSTB et les postulants aux avis techniques sont la source de problèmes graves. Ils pénalisent le développement de produits innovants. (…) »
Dans un courrier du 28 décembre 2012 à Cécile Duflot et Delphine Batho, il ajoutait :
« (…) l’Agence Qualité Construction (AQC) s’apprête à émettre en janvier un communiqué mettant en cause les qualités de cet isolant biosourcé. (...) J’ai lu le projet de communiqué et j’ai effectivement constaté que les affirmations indiquées dans ce document semblent particulièrement disproportionnées. (…) Il est important de noter que les travaux de cette commission ont été conduits sans aucune relation et échange avec les producteurs de cellulose. Cela semble particulièrement étonnant et éveille le plus grand doute quant à l’impartialité des conclusions annoncées. (…) Un faisceau d’indices porte ainsi à croire qu’il s’agit là des conséquences d’une campagne de lobbying menée depuis plusieurs années par des sociétés concurrentes. (…) Dans ces conditions, je vous demande de déclencher une enquête dans les meilleurs délais pour identifier les origines de ces anomalies graves dans les fonctionnements de nos organismes de contrôle. (…) »
Cette affaire a conduit l'OPECST à proposer de séparer le CSTB en deux entités distinctes, l’une prestataire, l’autre prescriptrice.
Le CSTB a tiré des leçons de ces événements, car il a admis un représentant des filières biosourcées dans la CCFAT.
Quel est le rôle de l'OPECST, l'Office Parlementaire d'Evaluation des Choix Scientifiques et Technologiques ?
Une des missions constitutionnelles fondamentales du Parlement, à côté du vote de la loi et du budget, est le contrôle des politiques publiques. Ce contrôle s’exerce à travers différentes instances internes de l’Assemblée nationale et du Sénat par le moyen d’auditions, de missions d’information, de commissions d’enquête.
L’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques est l’une des modalités de ce contrôle. Comme son nom l’indique, il est chargé plus spécifiquement des questions présentant un caractère très technique.
C’est ainsi en particulier qu’il s’est vu confier, au début des années 90, l’évaluation du dispositif de sûreté nucléaire, celle de la gestion des déchets nucléaires, et celle de l’élaboration des normes de bioéthique. Dans ces trois domaines, qui ont fait l’objet de plusieurs rapports successifs, l’Office s’est imposé au bout d’une dizaine d’années comme un acteur incontournable. Des lois ont repris ses préconisations, et lui ont confié une mission de supervision : chaque année, il auditionne désormais respectivement l’Autorité de sûreté nucléaire, la Commission nationale d’évaluation des recherches sur les déchets nucléaires, et l’Agence de biomédecine, sur présentation de leur rapport annuel.
Le domaine des économies d’énergie dans le bâtiment est, comme les trois domaines évoqués précédemment, à la fois stratégique et complexe. L’OPECST mènera des évaluations tant qu’il restera des interrogations sur les mécanismes nécessaires pour atteindre les performances souhaitées en matière de construction et de rénovation.
-
Documents à télécharger
rapport sur les freins réglementaires à l’innovation en matière d’économies d’énergie dans le bâtiment-
Description